Multitudes n˚13

2003

Publisher

French

Le travail sur Berlin dont sont présentés ici des extraits, a été inspiré à Raphaël Grisey par l’ouvrage d’Emmanuel Terray Ombres Berlinoise. Tentative d’enregistrement photographique d’un passé en ses lieux d’affleurement, ce travail cherche à interroger le rapport qu’entretient Berlin avec son passé. Le texte de Terray aura été pour Raphaël Grisey une sorte de « guide », lui permettant de repérer dans la ville ces lieux de mémoires qu’à son tour il interrogera. Ce travail, initié en 2001, est destiné a être publié dans un livre. Dans cet ouvrage, seront mis en regard les photographies de Raphaël Grisey, des extraits du livre d’Emmanuel Terray et le travail de Frédéric Bouchet (peintre). Doté, enfin, d’un appareil cartographique original cet objet est destiné à être l’outil d’un questionnement politique du collectif, de la mémoire urbaine en laquelle il s’incarne.
Emmanuel Terray séjourne à Berlin de 1991 à 1994. Il y écrira Ombres Berlinoises, voyage dans une autre Allemagne (Odile Jacob, 1996).Emmanuel Terray propose au travers de cet ouvrage, une visite des « Lieux de mémoire » les plus significatifs de la ville. Chacune des stations de ce périple est l’occasion d’un retour sur telle ou telle personnalité, sur tel ou tel aspect passé de l’Allemagne, de Weimar à la RDA en passant par le IIIe Reich. Ce livre est enfin le lieu d’une réflexion plus générale, non seulement sur l’Allemagne, mais aussi sur les ruses de l’histoire et sur l’essentielle fragilité des pouvoir, des systèmes sociaux et des régimes politiques; il s’inscrit ainsi dans la tradition du « voyage philosophique ».

Le travail sur Berlin dont sont présentés ici des extraits, a été inspiré à Raphaël Grisey par l’ouvrage d’Emmanuel Terray Ombres Berlinoise. Tentative d’enregistrement photographique d’un passé en ses lieux d’affleurement, ce travail cherche à interroger le rapport qu’entretient Berlin avec son passé. Le texte de Terray aura été pour Raphaël Grisey une sorte de « guide », lui permettant de repérer dans la ville ces lieux de mémoires qu’à son tour il interrogera. Ce travail, initié en 2001, est destiné a être publié dans un livre. Dans cet ouvrage, seront mis en regard les photographies de Raphaël Grisey, des extraits du livre d’Emmanuel Terray et le travail de Frédéric Bouchet (peintre). Doté, enfin, d’un appareil cartographique original cet objet est destiné à être l’outil d’un questionnement politique du collectif, de la mémoire urbaine en laquelle il s’incarne.
Emmanuel Terray séjourne à Berlin de 1991 à 1994. Il y écrira Ombres Berlinoises, voyage dans une autre Allemagne (Odile Jacob, , 1996).Emmanuel Terray propose au travers de cet ouvrage, une visite des « Lieux de mémoire » les plus significatifs de la ville. Chacune des stations de ce périple est l’occasion d’un retour sur telle ou telle personnalité, sur tel ou tel aspect passé de l’Allemagne, de Weimar à la RDA en pas- A passant par le IIIe Reich. Ce livre est enfin le lieu d’une réflexion plus générale, non seulement sur l’Allemagne, mais aussi sur les ruses de l’histoire et sur l’essentielle fragilité des pouvoir, des systèmes sociaux et des régimes politiques; il s’inscrit ainsi dans la tradition du « voyage philosophique ».
Les pages suivantes reproduisent les extraits d’Ombres Berlinoises que Raphaël Grisey a choisi de mettre en regard de ses photographies.

MUSÉE DE LA STASI. BUREAU DE MIELKE.

AUX ABORDS DE LA COLONIE DE WANDLITZ.

COLONIE DE WANDLITZ.
Les maisons de Wandlitz sont de celles qu’en France les sous-chefs de rayon des supermarchés de province peuvent s’offrir après dix ans de carrière, et je puis attester pour l’avoir vu que le dernier des sous-secrétaires d’État du gouvernement ivoirien possède une villa où dix de ces maisons tiendraient a l’aise. Le lotissement — ou la colonie : comment traduire Siedlung ? — qu’habitaient les membres du bureau politique du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne, né en 1946 de la fusion du Parti communiste et de la social démocratie d’Allemagne orientale) se trouve dans la forêt municipale de Bernau, à une trentaine de kilomètres au nord de Berlin. Aujourd’hui, l’accès principal du lotissement est masqué par un établissement de soins qui a ouvert ses portes en février 1991. Derrière la clinique s’étend le lotissement proprement dit. Des vingt-trois maisons qui le composent, vingt et une ont été construites entre 1958 et 1960.Toutes ces maisons se ressemblent ou plutôt possèdent un « air de famille» indiscutable, lequel correspond bien à cette égalité qui est officiellement de règle entre les membres du Bureau politique. En fait, il en va de ceux-ci comme des animaux de la ferme d’Orwell: tous sont égaux, mais certains un peu plus que les autres. Aussi une observation plus fine découvre d’une maison à l’autre de menues différences qui sont autant de marques d’une hiérarchie discrète discrète. Les uns disposent de vérandas; les autres doivent se contenter de baies vitrées; ici, un balcon de bois s’étend, à hauteur du premier étage, sur toutes la longueur de la façade; là, il ne relie que deux fenêtres. La porte d’entrée est parfois — mais pas toujours —surmontée d’un auvent. « Côté jardin », les plus favorisés jouissent d’un bassin, et sont gratifiés d’une sculpture de dimension modeste, représentant un homme ou une femme assis ou debout, ou encore un animal, par exemple un héron ou un ours. Ainsi Wandlitz est à l’image de la RDA tout entière : ce secret, ces épaisseurs forestières, cette enceinte barbelée, ces postes de garde ne protégeaient qu’une colonie de vacances pour vieillards désireux de sa savourer en paix les délices de la vie petite-bourgeoise. La fin de la RDA n’est qu’une nouvelle version du conte ancien. À l’instant même où l’enfant s’écrie : « Le roi est nu ! », le roi lui-même s’évanouit en fumée, car ses habits imaginaires seuls faisaient sa royauté. Tel a été le sort des pensionnaires de Wandlitz : leurs bungalows proprets demeurent comme un ridicule et touchant témoignage de cette médiocrité qui a été la cause véritable de leur chute.

UNTER DEN LINDEN.

PLATZ DER VEREINTEN NATIONEN (PLACE DES NATIONS UNIES).
Le 19 avril 1970, trois jours a avant le centième anniversaire de la naissance du fondateur l’URSS, une statue colossale de celui-ci est inaugurée à Berlin-Est, dans le district de Fr Friedriedrichshain; tout naturellement, turellement, elle est érigée sur la Leninplatz, que traverse la Leninallee. Elle nous donne à voir un Lénine hiératique revêtu de sa traditionnelle redingote, le bras droit à la verticale sur le côté, la main gauche sur le cœur, le regard fixé sur l’horizon; derrière lui, un drapeau déployé. Le matériau utilisé est un beau granit rouge importé té d’Ukraine. Haut de dix-neuf mètres, socle compris, l’ensemble se détache sur un fond formé par trois tours, qui sont construites à la même époque par le premier urbaniste de la cité, Hermann Henselmann, et qui comptent respectivement dix-sept, vingt et un et vingt-cinq étages. Malheureusement, cet ouvrage capable de défier les siècles n’a pas sur survécu à vécu la chute du Mur. En dépit de l’opposition des habitants du voisinage, qui a avaient fini par s’y accoutumer et même par l’apprécier, le Conseil du district de Friedrichshain a voté sa démolition ; le démontage a été effectué du 8 novembre 1991 au 6 février 1992; il a coûté 500 000 deutsche Mark au contribuable. Dans la Wochenpost du 3 mars 1994, Michael Gleich nous rapporte que Lénine a été découpé en cent vingt-cinq morceaux ; ceux-ci sont à présent ensevelis sous un mètre de sable dans la forêt de Köpenick, « en l’attente d’une nouvelle affectation ». Au reste, précise Michael Gleich, l’inspecteur des Eaux et Forêts en charge du précieux dépôt se nomme Marx. Pour l’épuration, la Leninplatz et la Leninallee ont été toutes deux débaptisées : la première est devenue la place des Nations Unies et la seconde la Landsberger Allee.

193, FRANKFURTER ALLEE.
Au printemps de l’année 1895, Lénine se rend en Suisse et à Paris, pour établir des liens avec les marxistes russes qui vivent à l’étranger, et c’est sur le chemin du retour qu’il s’arrête à Berlin. Avec Lénine, on s’en doute, la politique est au poste de commandement. que Le 3 août, pour sa première sortie la première, du moins, dont nous ayons connaissance—, il assiste à une réunion publique de la social démocratie; il est accompagné de Wilhelm Buchholz, dont il a fait la connaissance quelques années plutôt à Samara, et qui s’occupe à Berlin d’introduire en Russie de la littérature subversive. Le meeting se tient à l’autre bout de la ville, au n° 193 de la Frankfurter Allee, dans la salle d’un certain Herr Spitzig. L’orateur se nomme Arthur Stadthagen ; il est avocat, député au Reichstag, et il parle du programme agraire de la social-démocratie. Sur le bâtiment, qui porte aujourd’hui le n° 192, une plaque rappelle l’événement; elle est entourée de deux commerces : à gauche un Sex Shop à droite un Imbiss (snack turc).

MUSÉE DE LA STASI. BUREAU DE MIELKE.

CIMETIERE JUIF. WEISSENSEE.

LEIPZIGER STRAßE, WILHEM STRAßE.
Ici se succédèrent le Ministère de l’Air Gœring (1936 – 1945), la Maison des Ministères de la RDA (1949 – 1989), puis la Treuhand, office chargé de la liquidation des entreprises d’État est-allemandes, et enfin le nouveau Ministère des Finances (depuis 1989).

CUISINE DE MIELKE.
Erich Mielke (1907-2000), Ministre de la Sécurité d’État (STASI —Staatssekretariats für Staatssicherheit) de la RDA, de 1957 à la chute du Mur, en 1989 (NDLR).

SCHLOSS PLATZ.
Juin 1993, une rumeur se répand dans Berlin: « Le Château est de retour ! » Comme de nom- nombreux habitants de la ville, je me rends à la première occasion sur les lieux; de fait, à peine doublé l’angle d’Unter Linden, j’aperçois l’imposante silhouette que tant de gravures et de photographies anciennes ont fini par me rendre familière :à la seule exception de sa coupole, la demeure impériale des Hohenzoller est ressuscitée, elle s’élève à nouveau sur le site qu’elle avait occupé pendant plus de cinq siècles. Tandis que je m’approche, la vérité se découvre : le Château est un simulacre ; portails, balcons et fenêtres sont peints, « grandeur nature », sur des bâches de couleur jaune-ocre, tendues sur un gigantesque échafaudage de tubes d’acier. Friands de sur surnoms, les berlinois parlent du «Château-attrape » ou du « Château Potemkine », par allusion aux célèbres villages de papier que le ministre de la Grande Catherine dressait sur le passage de sa souveraine en vue de la tromper sur la richesse de son royaume. L’opération n’a pas seulement pour but l’émerveillement des badauds : elle est une nouvelle manche du duel à mort que se livrent depuis plusieurs décennies le «Château » et le « Palais » ; le Château des Kaiser, gravement endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, puis rasé en 1950 sur l’ordre de Walter Ulbricht, et le « Palais de la République », construit entre 1973 et 1976 sur l’emplacement ainsi libéré, afin de célébrer à la face du ace monde les prouesses techniques et artistiques de la RDA d’Erich Honnecker. Le palais de la République est l’œuvre d’un « collectif » d’architectes dirigé par Heinz Graffunder. Après avoir bâti des immeubles d’habitation dans divers quartiers de Berlin, celui-ci s’est spécialisé dans l’aménagement des parcs zoologiques : tour à tour Rostock, Friedrichsfelde, Neustrelitz, Magdebourg, Cottbus et Erfurt bénéficient de son savoir-faire en la matière. Sa désignation se comprend si l’on admet que la fonction d’un parc zoologique est de donner à des animaux captifs l’impression qu’ils sont libres; d’une certaine manière, on va le voir, tel est en effet le rôle du Palais. L’ouvrage est exécuté par la Direction des constructions spéciales de Berlin sous la responsabilité d’Ehrard Gisske; des équipes d’ouvriers et d’ingénieurs venus de toutes les régions du pays participent aux travaux: il s’agit de faire en sorte que le futur Palais éveille un sentiment de propriété à l’échelle nationale. L’édification proprement dite dure à peine mille jours; Erich Honecker en personne pose la première pierre le 2 no novembre 1973 ; le 23 avril il 1976, l’inauguration est marquée par un grand bal. Les guides de Berlin publiés au temps de la RDA décrivent le Palais au moyen d’inventaires à la manière de Prévert. Il compte un millier de salles ; la plus grande d’entre elles est modulable ; dans sa variante maximale, elle contient quelque cinq mille f fauteuils, tous munis d’ écouteurs permettant des traductions simultanées en douze langues. La salle des séances de la Chambre du peuple possède pour sa part huit cents places, et dans le « théâtre au Palais » deux cent cinquante cinq mille vêtements peuvent être déposés dans les vestiaires. L’immeuble est aéré par deux cents climatiseurs, capables de renouveler en une heure deux millions et demi de mètres cubes d’air. Au plafond du hall d’entrée sont suspendues un millier de lampes pendues. Seize escalier escaliers conduisent au premier étage ; on y trouve un foyer semé de fleurs de verre hautes de cinq mètres ; on accède ensuite à une galerie baptisée «Quand les communistes rêvent », où sont exposées les œuvres de seize artistes parmi les plus renommés du pays. Le Palais abrite en outre treize restaurants susceptibles d’accueillir au total quinze cents clients, un sauna de quatre-vingt-dix places, un bowling, une discothèque, un bureau de poste, plusieurs bars et de nombreux points de vente où l’on peut acheter livres, journaux, billets de spectacle, bibelots et souvenirs.

PETER MOERING. RUDOF PLATZ.

COUR INTÉRIEURE, PRENZLAUER BERG.
Parce qu’à relire les Chroniques d’Ulrike Meinhof, j’éprouve une invincible sensation de familiarité: la voix qui parle ici, ce fut aussi la nôtre. La nôtre : celle de ces hommes et de ces f femmes de Berlin, de Rome, de Paris qui, à partir des années soixante, participèrent aux espérances et aux combats de l’extrême gauche révolutionnaire. Tournons les pages du recueil que Klaus Wagenbach a édité en hommage à la « suicidée » de Stammheim : sa critique des rapports sociaux capitalistes, sa haine de l’oppression, sa condamnation des guerres coloniales ou impérialistes, sa solidarité à l’égard des mouvements de libération du tiers-monde, nous les avons partagées. Nous avons admis comme elle la légitimité de la contre-violence; comme elle, nous nous sommes interrogés sur l’inefficacité de nos efforts ; comme elle, nous avons connu la rage de l’impuissance et la tentation de forcer le destin. Bref, des raisonnements d’Ulrike Meinhof,nous avons rejeté les conclusions, mais nous avons accepté les prémisses; nous nous sommes posé les mêmes questions, bien que nous leur ayons apporté des réponses différentes. J’ai essayé de discerner le moment où les voies se sont séparées, mais je n’oublie pas pour autant le chemin qu’auparavant nous a avons parcouru côte à côte. En outre, même si nous ne manquons pas d’arguments pour justifier la rupture, , la vieille fascination de l’intellectuel pour l’action continue d’opérer, et dans le secret des reins et des cœurs, nombre d’entre nous se demandent encore si nos objections politiques n’ont pas été en la circonstance la rationalisation des scrupules, de la peur et de la dérobade. Si tel avait été le cas, nous n’aurions pas moins eu raison, mais nous n’en pourrions alors tirer aucun motif de vanité.

DIE SCHÖNE CHRISTINE, PROJEKT HAUS, PRENZLAUER BERG.
Aux squats, encore nombreux au début des années 90, se sont substitués des Hausprojekt (projets de maison) résultant d’accords passés entre squatteur, municipalité et propriétaires des lieux. Au premier plan de l’image, une pancarte à l’effigie hybride de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht conçue pour la manifestation commémorative de leur mort (NDLR). Dans l’histoire de la révolution allemande, les dernier jour de 1918 marquent un tournant : les socialistes indépendants se retirent du gouvernement, et le redoutable Noske y fait son entrée. Décidé à en finir avec le péril rouge, il énonce d’un mot son programme : « Il faut que l’un d’entre nous soit le chien assoiffé de sang ». Le 14 janvier 1919, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont arrêtés. Après un bref interrogatoire, Karl Liebknecht quitte l’immeuble le premier sous bonne garde; à sa sortie, il reçoit sur la tête plusieurs coups de crosse que lui assène le soldat Runge ; il est ensuite jeté dans une voiture qui prend le chemin du Tiergarten. Au bord du Neuer See (nouveau lac), la voiture s’arrête, et Karl Liebknecht en est extrait pour être aussitôt abattu de sept coups de feu. Deux heures plus tard, Rosa Luxemburg subit un traitement semblable :elle est assommée par le soldat Runge; puis le lieutenant Souchon lui tire une balle dans la tempe ; elle s’effondre et perd une de ses chaussures, que ses meurtriers arboreront triomphalement le lendemain comme un trophée de gloire; par ailleurs, un officier lui dérobe son bracelet-montre, tentera de le revendre à ses proches quelques années plus tard. Pour finir, une voiture l’emmène inanimée au bord du Landwehrkanal ; là, le lieutenant Vogel, qui commande l’escorte, ordonne que son corps soit jeté à l’eau. ps L’autopsie ne permettra pas d’établir si Rosa Luxemburg est morte de ses blessures ou bien par noyade. Le solda Runge raconte comment, au retour de leur expédition dans le Tiergarten, les bourreaux de Karl et de Rosa ont raconté leur mort ; de Rosa, ils ont dit : « Maintenant, la vieille truie nage dans le canal », et de Karl : « il a été troué comme une passoire. » Cinquante ans plus tard, ces mots inspireront à Paul Celan un des plus beaux poèmes de Schneepart : Tu reposes dans l’espace de l’ouïe, / Buisson- Buissonneux, floconneux. // Va vers la Sprée, va vers la Havel, / Va vers les crocs-de-boucher, / Vers les gaffes rouges des pommes / De Suède. // Arrive la table aux étrennes, / L’homme est devenu passoire, la femme / A dû nager, la truie, / Pour elle, pour personne, pour tous.// Le Landwehrkanal ne grondera pas, / Rien ne / Sèche. « La révolution est la seule forme de guerre —c’est encore une des lois de son développement où la victoire finale ne saurait être obtenue que par une série de défaites. Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? la première flambée de la lutte de classe en Europe s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des canuts de Lyon en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour la levée du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme, à considérer les luttes révolutionnaires, est pavée de défaites. Et pourtant cette victoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces défaites, où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? Aujourd’hui que nous sommes tout juste parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous sommes campés sur ces défaites et nous ne pouvons renoncer à une seule d’entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité. […] “ L’ordre règne à Berlin ” ! Gloires stupides, votre “ordre” est bâti sur le sable. Dès demain la révolution se dressera de nouveau avec fracas, proclamant à son de trompe pour votre plus grand effroi : j’étais, je suis, je serai. » (Rosa Luxemburg, « L’ordre règne à Berlin », Die Rote Fahne n° 14, 14 janvier 1919, in Rosa Luxemburg, Œuvres, Maspero, Paris 1969, Tome 2, p. 134-136). La traditionnelle manifestation de Janvier au pied du Mémorial des socialistes dans le cimetière de Friedrichsfelde se reproduit chaque année depuis 1990, mais le PDS (Parti du socialisme démocratique) qui l’organise est désormais un parti d’opposition; à ses côtés défilent la plupart des groupuscules de l’extrême gauche berlinoise; la commémoration se transforme donc en une fête anarchique et bariolée, plus fidèle à l’esprit des deux disparus (Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht) que le pesant cérémonial de jadis.

TREPTOWER PARK. MEMORIAL SOVIETIQUE AUX MORTS DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE.